L’été dernier, plus de 2200 hectares d’espaces naturels d’intérêt écologique majeur ont été incendiés dans les monts d’Arrée. Un an plus tard, les experts qui assurent le suivi environnemental et paysager depuis l’incendie présentent leurs conclusions.
Suite à l’incendie, le Conseil Départemental du Finistère et la Préfecture ont lancé un plan de restauration des monts d’Arrée qui réunit tous les acteurs du territoire autour de groupes de travail thématiques.
Dans ce cadre, un collège d’experts piloté par le Parc Régional d’Armorique, opérateur du site Natura 2000 des monts d’Arrée, et réunissant le Département du Finistère, Bretagne Vivante, le Conservatoire botanique national de Brest, le Groupe mammalogique breton, la Fédération de chasse du Finistère et l’Université de Brest, s’affaire depuis un an au diagnostic et au suivi environnemental et paysager des secteurs incendiés. Ce travail consiste à voir comment la faune et la flore réagissent et, si besoin, à envisager des actions de restauration écologique.
Réparti sur 10 000 hectares, le site Natura 2000 des monts d’Arrée abrite le plus grand ensemble de landes atlantiques de France et le plus important complexe de tourbières de Bretagne. Gérés durablement, ces milieux rendent de nombreux services indispensables : stockage de l’eau et du carbone, refuge pour des espèces animales et végétales, source de revenus pour les agriculteurs, pare-feux naturels contre les incendies…
L’été dernier, plus de 2 000 hectares ont brûlé, soit plus de 20% du site Natura 2000 des monts d’Arrée.
La surface touchée concerne plus de 1 000 hectares de landes sèches à mésophiles et 650 hectares de landes humides et de tourbières, auxquels s’ajoutent d’autres milieux remarquables comme les prairies humides.
La capacité de régénération est différente entre les zones où le feu était « courant » (déplacement rapide du front de flammes) et les zones où le feu a « stagné ». Après le feu « courant », les premières pousses de molinies étaient observables quelques semaines après les incendies. En revanche, sur les zones où le feu a stagné et couvé plus en profondeur, les propriétés des sols ont été modifiées, impactant davantage la banque de graines présentes dans le sol. Sur ces secteurs, la nature reprend ses droits de manière plus progressive. Souvent, ce sont des mousses pionnières qui s’y installent, en particulier la Funaire hygrométrique qui est une espèce typique des places à feu. Actuellement, nous observons sur les flancs du Mont-Saint-Michel-de-Brasparts des placages rougeâtres formés par cette mousse.
Après un premier état des lieux réalisé cet hiver par José Durfort, le Conservatoire botanique national de Brest réalise actuellement des relevés pour permettre un suivi de la reprise de la végétation des landes et des tourbières. Les premières impressions de terrain montrent que les landes entretenues par la fauche ou le pâturage ont moins souffert des incendies, le feu ayant moins de matière à brûler, ce qui a évité sa stagnation. On y observe une reprise des bruyères et des ajoncs à partir des anciennes souches. Sur des secteurs où le feu était plus intense, la reprise de la végétation se fait surtout à partir de graines. Le suivi sur le long cours permettra de voir si les plantules pourront survivre durablement, notamment dans les conditions actuelles de sécheresse. Nous savons que les monts d’Arrée ont déjà connu plusieurs incendies et que la nature est résiliente, à condition de lui laisser le temps.
Un premier bilan réalisé juste après les incendies a mis en évidence que des stations de 24 espèces végétales à forte valeur patrimoniale, dont plusieurs espèces rares et protégées, ont été touchées par les feux. Sont concernées notamment : le Malaxis des marais (Hammarbya paludosa), la Sphaigne de la Pylaie (Sphagnum pylaesii, espèce d’intérêt communautaire), le Lycopode sélagine (Huperzia selago), les Droséras, le Lycopode inondé (Lycopodiella inundata), etc. Des suivis sont prévus cet été pour mesurer le réel impact sur ces espèces mais aussi évaluer la nécessité et la faisabilité d’opérations de restauration dans l’état actuel des milieux naturels. Les interrogations restent nombreuses et il faudra probablement plusieurs années pour pouvoir tirer des conclusions.
Pour la première fois dans les monts d’Arrée, un observatoire photographique des paysages incendiés a été mis en place par le Parc en mars 2023. Cette démarche inédite permet de suivre leur évolution au moment de la reprise de la végétation. Une quinzaine de points de vue, répartis de manière à couvrir la diversité des paysages de la zone impactée, sont suivis toutes les deux semaines.
Si l’on observe plus de marques du passage des incendies sur les crêtes que sur le Yeun Elez, l’impact sur les formes paysagères reste globalement partiel. Mis à part la suppression de quelques massifs de résineux ou la présence d’arbres calcinés, le changement des formes paysagères se trouve principalement dans la révélation du réseau de levées de terre ou de talus nus. Cet héritage d’une ancienne pratique agro-pastorale a été révélé par le feu qui a brûlé la végétation abondante de la lande et les espaces enfrichés.
Le suivi régulier par la photographie permet d’étudier les changements de couleurs du paysage. Marqueur de l’évolution de la végétation, la forte variation des nuances au cours des saisons est un élément caractéristique de la lande. On observe donc de nouvelles teintes témoignant du passage du feu, notamment la présence de tons sombres (noir, brun…), qui tendent à se verdir dans le temps avec la croissance de la Molinie, ainsi que l’apparition de nouvelles couleurs comme l’orange de la Funaire hygrométrique (précédemment citée). Le paysage est aussi particulièrement marqué depuis la fin de l’hiver par la couleur blanche du grès armoricain au sommet du mont Saint-Michel ou du Tuchenn Kador.
Selon les données avifaunes du Parc et grâce au travail des experts de Bretagne Vivante, les pertes ont été limitées pour les espèces d’oiseaux emblématiques des monts d’Arrée comme les courlis cendrés et les busards Saint Martin et cendrés. En effet, les incendies ont eu lieu en fin de période de nidification et pendant leur période de migration. L’impact sur ces espèces est surtout indirect avec la destruction de plusieurs sites de nidification. Un couple de Courlis et deux couples de busards saint Martin ont niché cette année sur le périmètre incendié.
Cependant, l’impact indirect est réel sur ces espèces. Deux sites de la faible population de courlis cendrés ainsi que cinq sites de busards cendrés ont été abandonnés en zone incendiée, ce qui correspond pour ces derniers à environ un quart de la population de l’espèce. Au moins trois sites de nidification du busard saint-Martin ont été abandonnés cette année.
L’impact a été beaucoup plus direct pour d’autres espèces qui n’ont pas pu fuir (insectes, mollusques, petits mammifères, passereaux, amphibiens…). C’est le cas de l’Engoulevent d’Europe qui niche au sol à cette période. L’incendie a causé une mortalité importante chez les invertébrés et notamment les moins mobiles comme les araignées, les fourmis et les escargots, dont l’Escargot de Quimper dont de nombreuses coquilles ont été retrouvées. Les espèces qui ont des nids profonds ont pu échapper à l’incendie dans les secteurs où le feu a été courant. De même, dans les zones humides, là où le feu est passé rapidement, des larves et espèces aquatiques ont pu survivre.
Dans les secteurs de landes sèches incendiées, la totalité des passereaux emblématiques des landes ont disparu (fauvette pitchou, locustelle tacheté, bruant jaune, bruant des roseaux, pouillot fitis,…), à l’exception des alouettes et des pipits farlouses qui peuvent nicher en végétation rase. Cela prive également la population de rapaces de zones de chasse dans les espaces incendiés. Les tourbières du Yeun ont été moins impactées et la population de passereaux, traditionnellement plus faible, semble se maintenir.
Paradoxalement, les populations de reptiles semblent avoir été moins impactées. Les lézards vivipares sont assez abondants dans les zones incendiées et des vipères péliades ont été observées dans plusieurs secteurs. L’incendie s’étant produit un jour où les températures atteignaient 40 degrés, il est possible que les individus qui avaient cherché refuge sous terre pour se rafraîchir aient pu être en partie épargnés.
Pour les mammifères, les suivis mis en place permettent d’évaluer le retour de certains micromammifères depuis la périphérie du site.
La recolonisation est assez lente car les espèces sont dépendantes du retour de la végétation et des individus, plus ou moins mobiles, en périphérie et dans les zones préservées. Cela montre l’importance de préserver et gérer durablement de grands espaces naturels de landes et tourbières pour permettre, avec le temps, une recolonisation naturelle des espèces animales et végétales des secteurs épargnés vers les sites incendiés.
En savoir plus sur la faune et la flore des monts d’Arrée ainsi que sur le travail de Bretagne Vivante avec Emmanuel Holder et David Corre dans la vidéo ci-dessous.