Gros oiseaux de la taille d’une oie se nourrissant essentiellement de poissons, les plongeons font partie des espèces d’oiseaux les plus primitives et existaient déjà sur Terre à l’ère de l’Eocène, il y a 30 millions d’années, sous une forme proche des espèces contemporaines. Ce sont, après les manchots de l’hémisphère austral auxquels ils sont apparentés, les oiseaux, les mieux adaptés à la nage et à la vie sous l’eau.
La famille des Gaviidés regroupe aujourd’hui cinq espèces, toutes du genre Gavia et nichant toutes dans les régions néarctiques et paléarctiques de l’hémisphère Nord, aussi bien sur le continent américain que dans l’Ancien Monde de l’hémisphère Nord, (Ecosse, Fennoscandie, Russie, Sibérie) où elles cohabitent plus ou moins les unes avec les autres selon les endroits.
Oiseaux aquatiques des eaux douces en été, ils deviennent marins en hiver. Sur nos côtes, trois espèces sont visibles uniquement d’octobre à avril : le Plongeon arctique, ici traité , le Plongeon imbrin et le Plongeon catmarin.
Espèce longévive (27 ans) de taille assez grande (73 cm, envergure de 110 à 130 cm) pour un poids de 2,5 kg (♀) à 3.5 kg (♂), au corps fuselé avec des ailes étroites.
Le Plongeon arctique a un bec en poignard avec un culmen légèrement convexe. Le front est souvent abrupt, le profil de la nuque légèrement arrondi. Le cou est trapu. La poitrine est souvent saillante au niveau de la ligne de flottaison. Ces critères sont importants pour déterminer l’arctique des autres plongeons en hiver.
En plumage nuptial (mai à septembre) ♂ et ♀ (il n’y a pas de dimorphisme sexuel) ont des airs d’aristocrates avec leur costume noir et blanc et la large cravate noire. La combinaison des zébrures, du damier et du collier de perles blanches soulignant le capuchon plombé, où brille l’oeil rubis, est une merveille de raffinement.
En hiver, un plumage nettement différent. Les parties supérieures de l’adulte sont très foncées, presque noires sur le dos, plus claires sur la nuque et la tête. Le bec est gris, très droit. Le gris de la calotte descend sous les yeux qui sont noirs. Le devant du cou est blanc, bordé d’une fine ligne noire. La tête est bien relevée. Sur les oiseaux qui nagent, en tout plumage, une tache blanche généralement visible à l’arrière du flanc au niveau de la bande de flottaison permet de confirmer l’identification.
Les adultes effectuent une mue partielle postnuptiale entre septembre et décembre, puis une mue complète avant la reproduction, entre janvier et avril. Les rémiges sont renouvelées simultanément, entraînant ainsi une incapacité temporaire de vol des oiseaux.
Le Plongeon arctique a une vaste aire de répartition holarctique. En Europe, il se reproduit du nord de l’Ecosse et surtout en Scandinavie, en Finlande et en Russie dans les eaux calmes des lacs. Il devient marin en hiver, largement réparti depuis la mer Baltique jusqu’aux côtes de l’Atlantique, en Méditerranée et en Mer Noire.
L’espèce visite la France en période internuptiale et en hiver. Présent régulièrement du Languedoc-Roussillon à la Camargue, il fréquente le littoral atlantique (de la Manche à l’Aquitaine), le plus souvent en faible abondance. Seuls trois sites accueillent régulièrement l’espèce en nombre significatif : la rade de Brest et la baie de Douarnenez (Finistère) ainsi que les étangs leucatois (Aude et Pyrénées-Orientales) puis les grands lacs intérieurs comme ceux de la Forêt d’Orient.
La disposition des pattes, très en arrière du corps, facilite la nage mais rend les déplacements au sol difficiles. Les plongeons se déplacent peu à terre, se traînant plus que marchant.
Le plongeon arctique parcourt de longues distances en vol pour migrer ou se nourrir. Si le décollage laborieux (course sur l’eau sur plusieurs mètres), ses ailes, plutôt longues et effilées, lui permettent un vol puissant et direct. Il ne craint pas les vents violents puisque sa morphologie présente les mêmes avantages de moindre résistance à l’air qu’à l’eau.
Le plongeon arctique se déplace sous l’eau à grande vitesse (de 2,5 à 5 m/s) et parcourt parfois de 200 à 400 m en une seule plongée. Cela implique un plumage entretenu et imperméable au froid et à l’eau. C’est assuré par la structure particulière des plumes. Sur la tête et le cou, le plumage a un aspect très dense, plus proche du pelage que du plumage.
L’oiseau consacre de longs moments à sa toilette : le lissage et l’huilage des plumes, l’ oblige à prendre des positions surprenantes qu’ils peuvent maintenir pendant plusieurs minutes. Comme tous les plongeurs, il peut nager sur le dos, tout en lissant les plumes de son ventre !
L’adaptation des plongeons au milieu aquatique est liée à plusieurs facteurs : leur silhouette hydrodynamique, leur densité spécifique (très proche de celle de l’eau), un squelette compact très peu pneumatisé, ainsi que des protéines fixatrices du dioxygène (hémoglobine, myoglobine) plus performantes que la moyenne. Grâce à cela, ils sont capables de plonger à plusieurs mètres depuis la surface.
Pour plonger, il allonge son corps au maximum offrant le moins de résistance possible à l’eau. Puis il redresse peu à peu le cou pour pouvoir le détendre brusquement au moment de la capture. Ses pattes lui servent de propulseur et de gouvernail, dépliant ses palmures pour donner un coup de « rame » ou changer de direction et les refermant aussitôt après, pour ne pas freiner sa progression.
La technique de pêche consiste à repérer les proies sous l’eau à vue (les oiseaux nagent avec la tête immergée) puis il plonge la tête la première, glisse dans l’eau sans créer le moindre remous, poursuit et attrape avec son bec, un véritable harpon.
En pêche, il plonge pendant 45 secondes et descend à une profondeur allant de 3 à 6 mètres. Il peut utiliser ses ailes en plus des pattes pour “nager” sous l’eau.
Les plongeons arctiques se regroupent à plusieurs pour pêcher ensemble, tôt le matin. Les oiseaux avancent sur une même ligne, plongeant tous ensemble, capturant plus facilement les poissons qui fuient devant eux lorsque ceux-ci, acculés, arrivent à proximité des berges.
S’il peut attraper une proie de 30 cm et d’un poids de 1.5 kg maximum, la prise moyenne est de 10/15 cm et de 50 g.
En période de reproduction, truites, gardons, perches, carpes, saumons forment les repas quotidiens n’excluant pas d’autres espèces. En hiver, lorsqu’ils fréquentent les côtes marines, les morues, les harengs, les sprats ou les gobies sont ses proies favorites.
Le Plongeon arctique se reproduit dans les eaux douces, surtout dans les lacs peu profonds, plus favorables pour l’alimentation. Il recherche les îlots ou les berges en pente douce, avec de la végétation pour abriter le nid, à l’abri du dérangement et des prédateurs terrestres.
Strictement monogames, ils reviennent avec le même partenaire sur les sites de reproduction entre début de mai et mi-juin.
Débutent alors les parades nuptiales complexes et très ritualisées. Par exemple une trentaine d’individus se rassemblent et effectuent une « danse circulaire » autour d’un point central imaginaire. accompagnées de cris d’une puissance et d’une sonorité étonnantes. Certains auteurs pensent qu’il s’agirait là d’un comportement de menace ritualisé.
La femelle regagne le rivage en émettant de petits cris, se couche à terre, tête et bec dirigés vers le sol dans une posture de sollicitation. L’accouplement dure entre 10 et 20 secondes et peut se répéter six fois par jour depuis l’arrivée des oiseaux jusqu’à la ponte du premier œuf.
Les deux partenaires regagnent l’eau rapidement pour se toiletter.
Son nid va de la dépression dans le sol au monticule bas de végétation aquatique tout près de l’eau et présentant une vue dégagée pour fuir à l’approche d’un danger ou d’un prédateur.
Le nid, bâti directement sur la terre ferme, est une coupe de 27 cm de diamètre et d’une profondeur de 4 à 5,5 cm dans laquelle 2 œufs brun-olive tachetés de brun foncé ont besoin d’environ 25 à 30 jours d’incubation assurée par le couple. Les deux parents élèvent leurs poussins nidifuges durant 12 à 13 semaines. A ce moment-là, ils sont capables de pêcher seuls. Ils volent à deux mois.
Après la naissance, les poussins ne restent sur le nid que 2 ou 3 jours, nourris par les parents qui les incitent à rejoindre l’eau. Au cours des 5 à 6 premières semaines, l’un des parents restera auprès des poussins pour les défendre tandis que l’autre partira chercher de la nourriture.
Cette attention particulière au cours du premier mois s’explique par l’extrême vulnérabilité des poussins. Plus de 80 % de la mortalité juvénile intervient lors des 5 premiers jours qui suivent l’éclosion. Les causes en sont multiples : les oiseaux (goélands, labbes, corneilles, buse pattue ou pygargue) et les gros poissons (brochet) semblent les prédateurs des poussins.
A 15 jours , les poussins, sans apprentissage des parents, sont capables de plonger pour se nourrir. C’est un comportement inné. C’est l’époque où les jeunes sont transportés sur le dos des adultes (comme chez les Grèbes).
Souvent chaque parent à un poussin sous son aile ! Cela permet aux adultes de se déplacer plus vite et aussi de réchauffer leurs jeunes dont le plumage est imperméable qu’au bout de quelques jours.
À partir de six à sept semaines, les parents, quittant simultanément leur territoire, continuent à nourrir leurs jeunes jusqu’à leur envol, vers onze semaines, période où ils deviennent indépendants. Parfois, les parents continuent à les nourrir pendant près d’un mois. A l’automne, les jeunes gagnent la mer et comme les adultes en période hivernale, ils vivent isolés, erratiques ou parfois en petits groupes.
Le Plongeon arctique est silencieux en hiver, et plutôt muet en vol. De nuit, il pousse des cris profonds sur son territoire. Sur les sites de reproduction, son chant est profond et morne.
Ecoutez son chant
Les passages migratoires ont lieu en avril-mai et septembre-octobre.
Le Plongeon arctique est présent en France d’octobre à avril pour la migration postnuptiale et l’hivernage, le stationnement culminant entre décembre et février. Les rares reprises d’oiseaux bagués indiquent que ces migrateurs proviennent entre autres de la petite population écossaise puis de Suède. Pendant leur hivernage en Bretagne, on peut les trouver sur divers sites littoraux : estuaires, lagunes côtières, grandes criques et baies peu profondes.
Comme toutes les espèces de plongeon, l’arctique n’échappe pas aux principales menaces que sont : les dégazages illégaux de navires et les marées noires surtout en hiver et en migration.
Ils sont également exposés aux captures accidentelles dans les filets de pêche dérivants, aux dérangements liés aux champs d’éoliennes offshore qui réduisent l’accès aux zones d’alimentation et à la baisse de leurs ressources alimentaires due à la pêcherie.
La pollution des eaux, qu’elles soient douces ou marines, est certainement une cause importante de la régression et de la mortalité des plongeons.
Le rôle de la pollution chronique est mal évalué, mais l’espèce apparaît régulièrement dans les résultats de dénombrements d’oiseaux échoués. Les pollutions accidentelles fournissent des exemples plus spectaculaires : la marée noire de l’« Amoco Cadiz » a ainsi touché au moins 90 plongeons arctiques sur la côte nord-ouest de la Bretagne (MONNAT & GUERMEUR, 1979) et plus récemment celle de l’« Erika » a touché au moins 30 individus (CADIOU et al., 2003).
Le Plongeon arctique est une espèce longévive. L’âge de première reproduction serait de 5 ans. On dispose de peu d’information sur la survie, qui serait de 40% la première année et de 80 à 91% ensuite, mais le calcul de ces taux est basé sur un faible nombre de reprises d’oiseaux bagués (HEMMINGSSON & ERIKSSON, 2002). Le record de longévité est actuellement de 27 ans (STAAV, 1998).
Le Plongeon arctique est considéré en mauvais état de conservation en Europe (vulnérable et en déclin) en raison d’un large déclin général. La population reproductrice européenne est estimée entre 51 000 et 92 000 couples en 2004 dont 35 000 à 70 000 en Russie. Diminution en Norvège, en Finlande et en Russie, stabilité en Suède même si le dérangement humain et l’acidification des plans d’eau induisent un plus faible succès reproducteur.
La sous-détection de l’espèce en hivernage (absence de recensements en mer) ne permet pas de mettre en évidence une tendance fiable de l’évolution de la population hivernante française comptée à la mi-janvier avec un effectif moyen de 214 individus entre 2015 et 2019.
En France, en 2024, 316 oiseaux dénombrés sur 33 sites ; la Bretagne apportant 1/3 des effectifs (109 en 2023) dont 65 individus principalement en rade de Brest.
Espèce protégée (article 1 de l’arrêté modifié du 17/04/81), inscrite à l’Annexe I de la Directive Oiseaux, à l’Annexe II de la Convention de Berne et à l’Annexe II de la Convention de Bonn.
Espèce listée en catégorie B2c (populations du nord de l’Europe et de l’ouest de la Sibérie / Europe) dans l’Accord sur les Oiseaux migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA)